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Fin des commissions de mouvement pour la gestion sous mandat : défis et opportunités pour les gérants

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Commissions de mouvement

Le 4 avril 2025, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a acté la disparition, au 1er janvier 2027 pour les nouveaux mandats et au 1er janvier 2028 pour les mandats existants, des commissions de mouvement prélevées sur chaque transaction dans la gestion sous mandat. Cette mesure - qui vise à supprimer un conflit d’intérêts structurel entre le gérant et l’investisseur - parachève l’alignement avec les OPCVM (hors actifs non-cotés et immobilier), FIA et mandats d’arbitrage en UC dans le cadre de l’assurance-vie déjà frappés d’interdiction (interdictions applicables au 1er janvier 2026).

Au-delà de la conformité réglementaire, l’enjeu pour les sociétés de gestion et banques privées est stratégique : préserver la rentabilité de leur modèle d’affaires tout en renforçant leur proposition de valeur face à une clientèle aisée de plus en plus sensible à la transparence des frais.

Trois défis majeurs

Défi 1 : Compenser un manque à gagner

Le premier défi est purement financier : la suppression des commissions de mouvement, à la fois en gestion collective et en gestion sous mandat, va progressivement assécher un flux annuel d’environ 525 millions d’euros entre 2026 (pour la gestion collective) et 2028 (pour la gestion sous mandat) pour l’ensemble du marché français, soit près de 3% des revenus totaux des sociétés de gestion. Pour la gestion sous mandat, et selon l’AMAFI (Association française des marchés financiers), les commissions de mouvement représentent 0.0169% des encours gérés sous mandat, soit environ 250 millions d’euros par an. Concrètement, et sans action de remédiation, la fin des commissions de mouvement sur les mandats de gestion risque d’amputer la rentabilité des mandats de 5 à 10 points de base : chaque milliard d’euros d’encours sous gestion se traduira par 0,5 à 1 million d’euros de revenus annuels en moins ; de quoi alourdir la pression sur le résultat d’exploitation dans un contexte où les charges ont, ces dernières années, augmenté plus vite que les revenus. Les sociétés de gestion et banques privées doivent se mettre en ordre de marche dès aujourd’hui car elles disposent d’un court laps de temps pour réinventer ou au mieux adapter leur modèle tarifaire.

Défi 2 : Réaliser une migration tarifaire des portefeuilles clients

La réforme va déclencher un chantier opérationnel important qui mobilisera les départements juridique, informatique et bien évidemment le front-office. Chaque mandat de gestion, parfois des milliers par société de gestion, devra être amendé (annexes tarifaires, clauses de transparence, calcul des coûts ex-post, etc.) et une migration tarifaire vers un modèle all-in, déjà existant chez une partie des sociétés de gestion ou banques privées, effectuée. L’impact économique de la migration tarifaire, avec une vision holistique des frais perçus, devra être simulé au niveau de chaque portefeuille ce qui permettra par ailleurs de rechallenger des conditions tarifaires spécifiques octroyées par le passé et, de notre expérience, souvent non requestionnées.

Défi 3 : Adapter les politiques de rémunération des gérants

La suppression de la rémunération liée au volume d’ordres change radicalement le modèle d’incitation des gérants : jusqu’ici, chaque rotation supplémentaire rapportait des commissions au gérant du mandat, parfois sans lien direct avec l’alpha réellement produit pour le client. Or, faire « tourner » le portefeuille n’alourdit pas seulement la charge administrative, cela multiplie les coûts (frais de brokers, taxes de marché, etc.) qui grignotent la performance nette. Désormais, le gérant est donc indirectement encouragé à prolonger la durée de détention et à n’exécuter qu’un ordre systématiquement justifié par la stratégie. Ce recentrage sur la création de valeur nette appelle aussi une revue des grilles de rémunération, notamment la part variable des gestionnaires, en remplaçant les métriques liées aux revenus des commissions par des indicateurs de performance nette, de satisfaction client ou encore de croissance durable des encours. Ainsi, la part variable de la rémunération reflétera réellement la valeur créée pour l’investisseur.

Transformer une contrainte réglementaire en une opportunité de croissance

Étape 1 : Définir sa future stratégie tarifaire

L’interdiction des commissions de mouvement impose un ajustement tarifaire. Trois voies s’offrent aux banques privées et sociétés de gestion : Laisser filer la marge ; option théorique mais incompatible avec des objectifs de rentabilité. Rehausser la commission de gestion ; améliore le revenu court-terme mais risque d’éroder la compétitivité prix et surtout d’élargir le différentiel prix entre la gestion sous mandat et la gestion libre, ce qui ne facilite pas la migration de la gestion libre vers des services à plus forte valeur ajoutée. Rééquilibrer intelligemment la grille de frais ; redistribuer les coûts sur l’ensemble de l’offre (gestion libre, conseillée, déléguée) afin de neutraliser l’impact sans renier son positionnement. Un ajustement calibré, valorisé par un enrichissement éventuel du service, permettra de protéger la marge tout en préservant ses avantages concurrentiels.

Étape 2 : Repenser la gamme de gestion déléguée

Les ajustements tarifaires ne passent pas uniquement et forcément par une hausse de la commission de gestion ; ils peuvent aussi provenir d’un effet mix : c'est-à-dire une montée en gamme des clients vers des offres à plus forte valeur ajoutée, mieux segmentées et mieux monétisées, fonction de la propension du client à payer. Aujourd’hui, au sein d’une même société de gestion, trop d’offres de gestion déléguée sont facturées au même prix, ou du moins affichent un même prix sur la grille officielle, quelle que soit la profondeur de l’offre.

Pour bâtir une différenciation réussie, trois questions clés sont à adresser : Quelle est la propension du client à payer ? Quels sont les services essentiels que le client attend ? Comment structurer et différencier l’offre (packaging, niveaux de services, frais) pour créer un avantage concurrentiel durable ? Dans un mandat de gestion, le niveau de personnalisation ou l’étendue de l’univers d’investissement sont autant de leviers pour segmenter l’offre, capturer la valeur ; éventuellement réduire les coûts de service ; et aligner le prix sur la valeur délivrée.

Étape 3 : Anticiper et exécuter – sans heurts – sa migration tarifaire

La migration tarifaire ne peut aboutir que si elle s’appuie sur trois piliers. D’abord, une radiographie exhaustive des revenus, avec une vision très granulaire, portefeuille par portefeuille et frais par frais (a minima les frais visibles) : ce niveau de granularité donne la capacité de mesurer, suivant différents scenarii, l’impact financier des futurs barèmes et de leurs conditions dérogatoires, tout en conservant une vision holistique de chaque relation client. Ensuite, un outil de migration intuitif doit être placé entre les mains des banquiers privés ou des gérants ; il leur permet de simuler l’impact économique de la migration en ajustant les conditions spéciales, les modèles tarifaires et offres proposées au client. Enfin, une conduite du changement structurée transforme l’initiative réglementaire en avantage stratégique : elle revalorise l’offre, sécurise la marge et renforce la proposition de valeur auprès des clients patrimoniaux les plus exigeants.

Conclusion

La décision de l’AMF place le marché français au diapason des meilleures pratiques européennes ; elle ouvre surtout un terrain de jeu où la différenciation ne se jouera plus sur la mécanique des frais de transaction mais sur la capacité à délivrer une performance nette, transparente et adaptée à chaque segment patrimonial. Les établissements qui aborderont la migration tarifaire comme un projet stratégique – fondé sur la granularité des données, la sophistication des outils de simulation et une conduite du changement exemplaire – convertiront un choc réglementaire en avantage compétitif. En resegmentant l’offre, en alignant la tarification sur la valeur perçue et en recentrant la rémunération des gérants sur la création d’alpha durable, ils renforceront la fidélité des clients les plus exigeants, protégeront la marge et consolideront, à horizon 2027-2028, un modèle résilient et vecteur de croissance.

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